LES GRANDES QUESTIONS > Les chirurgiens > Chirurgiens esthétiques et publicité
A partir des années 1995-1996, la manière de traiter le sujet s’est complètement transformée. Des praticiens sans qualification ni scrupule vantèrent régulièrement, dans des émissions de variété, les mérites de leurs pratiques et de leurs établissements. Au même moment sont apparues les premières émissions de téléréalité, dans lesquelles des individus « vivaient » leur vie sous les yeux de téléspectateurs ébahis.
La télévision s’est vite rendue compte que la chirurgie esthétique réunissait, à elle seule, deux ingrédients magiques d’une bonne télé-réalité : les résultats étaient immédiatement visibles, et elle faisait partie de la vie des individus, en cristallisant les sentiments de souffrance, de crainte, de bonheur. La combinaison de ces deux critères en faisait un sujet spectaculaire, et donc capable de faire exploser l’audimat. Autre intérêt non négligeable pour les producteurs : les participants à ces émissions n’étaient pas rémunérés.
Toutes les chaînes de télévision se sont alors précipitées sur le sujet de la chirurgie esthétique, en confiant aux producteurs de prime time la confection d’émissions sur le sujet. Toutes les maisons de production ont alors réalisé des sujets, diffusés dans des émissions comme Ça se discute, C’est mon choix, Le droit de savoir, J’ai décidé d’être belle, Sept à huit, Vie privée vie publique, etc. La quasi-totalité de ces productions a usé du même mode de fonctionnement, créant au passage un préjudice très important à la chirurgie esthétique et à ses patients.
Puisque c’était de la télévision, toute bonne émission commençait par la sélection de bons témoins.
Fallait les acteurs les plus aptes à correspondre à l’identification des téléspectateurs. Pour les trouver, les journalistes ne sont pas allés chercher bien loin : ils ont tout simplement demandé aux praticiens de les leur fournir.
Voilà pourquoi les journalistes appellent ainsi régulièrement les listes de chirurgiens esthétiques, et leur font miroiter, en échange de témoins, la participation à leurs émissions. Ce procédé est strictement interdit par le code de déontologie. Tout médecin est tenu par le secret professionnel, il ne doit en aucun cas révéler la moindre information sur ses patients, à qui que ce soit, et donc encore moins à un journaliste. C’est une des fautes professionnelles les plus graves. C’est purement et simplement la trahison du secret médical.
Mais l’impact des médias est si grand que de nombreux praticiens n’hésitent pas vraiment à trahir ce secret, ne serait-ce que pour avoir accès à une émission de télévision ! Le déroulement est alors simple ; le médecin demande en général l’accord de ses patients, mais malgré cet accord, la faute est consommée. Ce n’est pas parce qu’un patient accepte de se faire filmer dans le cabinet d’un chirurgien esthétique, sur une table d’opération, et tout au long de son expérience de chirurgie esthétique, que celui-là est pour autant délivré de son secret professionnel.
La faute est donc double et particulièrement grave. C’est la trahison du secret professionnel dans le but de faire de la publicité, elle-même interdite. Inutile de dire que les praticiens qui acceptent de jouer le jeu avec les journalistes sont, à nos yeux, d’une moralité plus que douteuse. Dans le même temps, les téléspectateurs, inconscients de ces tractations, pensent que les professionnels médiatisés le sont pour leurs prouesses techniques.
Enfin, les patients qui acceptent de témoigner pour ces émissions ne le font pas par hasard. Beaucoup refusent la médiatisation de leur intervention chirurgicale. Ceux qui le font sont probablement un peu exhibitionnistes ou narcissiques, en tout cas fascinés par le pouvoir de la télévision. Ont-ils quelque chose à gagner de cette exposition médiatique, qui les transforme en star d’un jour ? Ces témoins de chirurgie esthétique ne sont-ils pas, au final, de pauvres gens manipulés par les journalistes, sous prétexte qu’ils vont rendre service aux téléspectateurs, en leur livrant leur propre expérience ?